Quelque 11 700  vols sont enregistrés dans le fichier des objets et véhicules volés, traduisant une progression significative depuis ces derniers moi. RVM
Quelque 11 700 vols sont enregistrés dans le fichier des objets et véhicules volés, traduisant une progression significative depuis ces derniers moi.
Victime pour la quatrième fois en trois ans d’un vol de matériel, Olivier Tassan, gérant RVM, a été mis en cause par la brigade de gendarmerie de Charly-sur-Marne (02) pour « entrave à l’exercice de la liberté du travail ». Son tort ? Avoir retenu sur son chantier, le camion du transporteur diligenté par les malfrats pour convoyer le matériel dérobé.

Rappel des faits. Samedi 9 novembre, un collaborateur de la société RVM est alerté par un voisin fermier d’un mouvement de matériel sur un chantier, en rase campagne, à quelques kilomètres de Château-Thierry. Il s’agit d’un chantier de terrassement, avec création des bassins, en vue de la création d’une ferme photovoltaïque. Pour ces travaux, l’entreprise a, notamment, mobilisé un bouteur Cat D6, un tombereau articulé Bell B 30E ainsi qu’une pelle sur chenilles Cat 323 F, tous ces matériels étant parqués dans l’enceinte close du chantier. Arrivé rapidement sur place après avoir prévenu son patron, le collaborateur découvre sur place deux individus dans une voiture particulière, qui prennent immédiatement la fuite, ainsi que le chauffeur du porte char. Les gendarmes, qui ont été prévenus arrivent rapidement sur les lieux et mettent le camion sous scellés. Ils vérifient la lettre de voiture du transporteur, qui leur paraît conforme et s’assurent que le camion est en règle. Le matériel, qui a été débarrassé de tous ses autocollants aux couleurs de la PME castelthéodoricienne, est descendu de la semi.

« Après avoir interrogé le chauffeur à la gendarmerie et sollicité une décision du parquet, arguant de la bonne foi de l’individu qui se présente comme un simple transporteur, ce dernier est remis en liberté, rapporte Olivier Tassan. Le système est parfaitement rodé. Les vols ont toujours lieu le vendredi soir ou le samedi matin. Neuf fois sur dix, ils ne se font pas attraper, et quand bien même ils se font prendre, la durée de la garde à vue est de 24 heures max. La peine encourue est insignifiante. En outre, cela signifie qu’ils sont libres le dimanche après-midi et que le lundi matin, ils sont déjà loin ». Avec une lettre de voiture « conforme », le numéro de série, qui figure sur le document étant bien celui de la machine car rempli sur place, et sur la bonne foi des déclarations du transporteur, le prestataire est laissé libre. Pourtant, le parquet est impliqué, mais sur la seule base des informations remises par les gendarmes. Aussi, à l’annonce de la décision du parquet, samedi à 22 h 30, l’entrepreneur s’est immédiatement rendu sur son chantier pour retenir le transporteur qu’il soupçonnait d’être complice de vol et pouvoir obtenir les preuves de ses faux documents. Comment ? En réalisant une tranchée devant le camion et ainsi l’immobiliser sur le site interdit au public en attendant d’obtenir une nouvelle décision du parquet, moyennant de nouveaux documents, dont les photos des adhésifs arrachés sur les deux faces de la pelle. l'entrepreneur a alors alerté les forces de l'ordre en motivant sa demande par un " est-ce un acte de transport normal d'arracher les adhésifs de l'engin pour le déplacer d'un point A à un point B ? " et de poursuivre par " j'exige que vous sollicitiez une décision modificative du parquet ". Une nouvelle décision du parquet est tombée dès le dimanche, aboutissant à une nouvelle garde à vue du transporteur. « J’ai agi avec fermeté et détermination, reconnaît Olivier Tassan. Grâce à notre persévérance et notre ténacité, aux soutiens importants que nous avons reçus et au travail des forces de l’ordre, le parquet a pris la décision d’immobiliser le camion présumé complice du vol afin de procéder à des investigations complémentaires ».L’entrepreneur reconnaît cependant s’être mis dans l’illégalité, Parallèlement, il a mené sa propre enquête. Il a ainsi découvert que l’entreprise « donneur d’ordre » mentionnée sur la lettre de voiture avait été radiée par deux fois du RCS de Lyon jusqu'en septembre dernier, que les assurances tant du tracteur que de la semi-remorque n’avait pas été vérifiées et qu’un document était un faux. « Le bilan de la société, qui disposait d’un capital de 2,35 millions d’euros, affichait une marge de 32%, révèle Olivier Tassan. C’est totalement incohérent avec les ratios de la profession. Soit tous les documents sont des faux, soit ce ne peut être que du blanchiment d’argent à grande échelle ». Toutes ces informations ont été transmises par le dirigeant aux forces de l'ordre. Depuis, le chauffeur a été quant à lui libéré à l’issue de sa garde à vue, mais il est reparti sans son camion. Le chronotachygraphe a été analysé par les services de la DREAL et plus de trois semaines après les faits, le camion et la semi-remorque sont toujours en fourrière. Il semblerait que nous soyons en face d'une équipe structurée qui pourrait rayonner assez largement sur la France. Sans la ténacité du patron de RVM, les malfrats n'auraient pas été inquiétés tout en ayant été pris sur le fait. Pour ce qui lui est reproché, à savoir avoir entravé la liberté de travail du transporteur, Olivier Tassan ne regrette rien.

Recrudescence

Cette mésaventure n’est qu’une parmi d’autres, de plus en plus fréquentes. Les vols de matériel ne cessent de se multiplier, conduisant la fédération du matériel à écrire au ministre de l’Intérieur démissionnaire. Dans ce courrier, Philippe Cohet, président de DLR alerte Bruno Retailleau sur la croissance exponentielle du fléau (11 683 vols enregistrés dans le fichier des objets et véhicules volés), représentant un préjudice de plusieurs millions d’euros de dommages. L’ampleur du phénomène a même incité la fédération engager un travail de collaboration étroite avec les forces de l’ordre. Une convention de partenariat a été signée entre le Pôle Judiciaire de la Gendarmerie Nationale (PJGN), la Direction Nationale de la Police Judiciaire (DNPJ) et DLR, le 7 octobre 2024. Dans un second temps, à l’occasion d’une journée organisée au PJGN le 10 octobre 2024, qui a réuni des dirigeants d’entreprises et les forces de l’ordre, il a été annoncé la création d’une commission « Halte aux Vols », qui regroupera des acteurs de notre secteur et de notre filière, notamment des fédérations professionnelles (European Rental Association, France Assureurs, Fédération Française du Bâtiment, Fédération Nationale des Travaux publics, Syndicat des Importateurs de Matériels), ainsi que divers représentants du PJGN et de la DNPJ (PIV – OCLDI – OCLCO – BRB IdF,…). Parmi ses priorités d’action, l’instruction des dossiers par les parquets et le dépôt de plainte en « bonne et due forme ». « La finalisation d’un document propre aux matériels de chantier va permettre d’être plus efficace, se félicite Joël Fruchart, président de la Commission Halte du vol (DLR). L’une des enjeux majeurs est de désigner précisément le type de matériel volé et d’instruire correctement sur numéro de série, qui est, en l’état, la seule identification d’un engin de chantier ». Dans la continuité des deux premières actions engagées, la réunion de la Commission, programmée le 28 janvier prochain, doit permettre de hiérarchiser les chantiers prioritaires et, dans un second temps, d’attribuer le travail au sein des différents groupes de travail à constituer ». En parallèle, la rédaction d’un guide de Prévention/Sécurité, en étroite collaboration avec l’ERA permettra à l’ensemble de la filière de disposer d’un outil commun. Conçu comme un Vade-mecum des bonnes pratiques, le document doit permettre une meilleure prévention des risques de vol, mais aussi d’usurpation d’identité et e falsification de documents. L’enjeu est de taille. Outre la disparition du matériel, la désorganisation du chantier et la perte d’exploitation, les entreprises subissent une sanction économique : leurs primes d’assurance augmentent considérablement (+23% en deux ans). « Leurs contrats peuvent être résiliés par leurs assureurs, ce dernier aspect est devenu ces derniers mois un enjeu majeur qui empêche littéralement certaines entreprises d’exercer pleinement leurs activités, souligne Joël Fruchart. La situation ne peut perdurer, tant elle nuit gravement à la filière et au-delà, à l’ensemble de l’économie française ».

Jean-Noël Onfield